INDE - L’économie contemporaine

INDE - L’économie contemporaine
INDE - L’économie contemporaine

Pendant plus d’un quart de siècle, l’image de l’Inde en Occident – et notamment dans les pays francophones – a été liée à la misère, aux vaches, à l’immobilisme social et à une faible expansion économique.

Depuis la fin des années 1970, la roue est en train de tourner. D’une part, les progrès économiques cessent d’être méconnus dans les pays occidentaux. D’autre part, l’intérêt que ceux-ci témoignent à l’Inde est stimulé par le besoin de trouver de nouveaux débouchés en dehors des échanges entre pays industrialisés.

1. Le cadre politique et le développement économique

Le cadre politique a sur l’économie une incidence importante. Le trait frappant est la relative stabilité des institutions et du système politique en comparaison de nombreux autres pays asiatiques. L’Inde n’a pas connu de tempêtes comme le Bond en avant ou la Révolution culturelle en Chine. Elle a évité les drames comme la sécession du Pakistan oriental devenu Bangladesh, la guerre qui sévit en Afghanistan, l’effondrement de l’empire d’Iran.

Les dirigeants de l’Inde ont montré de remarquables capacités à absorber les crises et à éviter les points de non-retour. Comme beaucoup d’Indiens le font observer: «We always muddle through » («Nous finissons toujours par nous en sortir»). L’art des compromis et des dosages est poussé à un haut degré dans le cadre d’un système de démocratie parlementaire, dont les racines se sont peu à peu implantées à travers les élections générales. Or, malgré les abus, ces dernières ne consistent pas en opérations de truquage généralisé.

Il s’agit de concilier les tendances opposées, d’atténuer les conflits latents ou ouverts, sur un territoire de 3,2 millions de kilomètres carrés, comptant 846 millions d’habitants selon le recensement de 1991 et près de 890 millions à la mi-1993, selon les estimations du Population Reference Bureau de Washington, pratiquant diverses religions, parlant de nombreuses langues, s’appuyant sur une multitude de particularismes locaux, de castes et de classes. Il ne faut pas non plus oublier que l’histoire de l’Inde n’a pas connu de courants unitaires comparables à ceux de la Chine.

Non moins frappante est la prise de conscience politique qui gagne progressivement du terrain dans les diverses couches sociales et jusqu’au fond des villages. Les élus savent qu’ils ont des comptes à rendre, comme les électeurs l’ont montré avec éclat en faisant tomber Indira Gandhi et le parti du Congrès en 1977, après l’état d’urgence, lorsque la vie démocratique fut suspendue pendant deux ans. Ils l’ont prouvé à nouveau en ramenant l’une et l’autre au pouvoir en 1980 après les déconvenues essuyées sous la coalition menée par le parti Janata, puis, en 1989, en votant contre le Congrès.

La complexité de la vie politique se trouve accentuée par les structures fédérales et par la diversité des États, certains d’entre eux étant relativement bien dirigés et administrés, d’autres en proie aux luttes partisanes et aux désordres quasi chroniques.

Enfin, il faut rappeler que le Congrès, le plus grand parti, représente plus un rassemblement de tendances divergentes et souvent changeantes qu’un parti doté d’une idéologie bien dessinée et clairement fixée.

Le système politique provoquait des inquiétudes croissantes au moment où Indira Gandhi était assassinée, le 31 octobre 1984, par deux de ses gardes du corps sikhs. On notait un affaiblissement général de la classe politique avec la disparition des leaders qui avaient conduit l’Inde après l’indépendance. Le parti du Congrès se trouvait en perte de vitesse. Indira Gandhi avait trop tendance à manipuler les États de l’Union en y plaçant ses fidèles, qui n’étaient pas forcément les plus compétents. Au niveau central, la position du Congrès était aussi ébranlée. La corruption avait pris les formes d’un cancer à tous les échelons de la vie publique. L’économie exigeait de profondes réformes pour gagner en efficacité. Les tensions entre hindous et musulmans allaient croissant. L’Assam et le Pañjab étaient le théâtre d’affrontements sanglants opposant, dans le premier cas, les Assamais de souche et les très nombreux immigrants d’autres États, notamment les Bengalis indiens ou du Bangladesh.

L’arrivée de Rajiv Gandhi au pouvoir, à la fin de 1984, suscite d’énormes espoirs. Mais, après de brillants débuts, l’«esprit» du système reprend le dessus. Le Congrès perd les élections dans divers États. La corruption fleurit de plus belle et le Premier ministre est éclaboussé dans une affaire de commission sur l’achat de canons suédois (Bofors). Rajiv Gandhi a le mérite d’accélérer le courant de réformes économiques qui avait commencé au début des années 1980. Toutefois, sur ce plan aussi, le mouvement s’essouffle dès 1987.

Ces déceptions se soldent par la défaite du Congrès aux élections de l’automne de 1989. Deux fragiles gouvernements de coalition se succèdent jusqu’aux élections anticipées du printemps de 1991. Durant la campagne électorale, Rajiv Gandhi est assassiné.

Le Congrès devient le premier parti à la Chambre du peuple (Lok Sabha), sans bénéficier de la majorité absolue. Narasimha Rao, ancien ministre d’Indira Gandhi et de son fils, devient Premier ministre. Malgré sa faiblesse, ce gouvernement lance un programme de réformes économiques véritablement radicales. En revanche, la vie politique s’est assombrie en 1992 et en 1993: montée des intégrismes hindou et musulman, forte progression du Bharatiya Janata Party (B.J.P., droite hindoue), heurts violents, destruction de la Babri Masjid (6 déc. 1992) par les extrémistes hindous, ce qui suscite une flambée de violences dans de nombreuses villes. Heurts aussi à l’intérieur de la société hindoue entre castes supérieures et inférieures (other backward classes , qui se situent au-dessus des ex-intouchables). L’ordre public se dégrade. Néanmoins, la situation s’éclaircit à la fin de 1993. Le gouvernement Rao obtient la majorité au Lok Sabha. Le B.J.P. recule lors d’élections organisées dans plusieurs États. Les tensions communautaires baissent. Les extrémistes sikhs sont mis en échec au Pañjab. En revanche, les troubles au Cachemire restent très graves depuis 1984.

Une fois de plus, mis à part ce dernier territoire, l’Inde a démontré ses capacités à digérer même les crises les plus graves, ce qui ne veut pas dire que d’autres turbulences ne risquent pas de survenir à nouveau.

2. Le point de départ socio-économique

Au moment où lord Mountbatten, dernier et prestigieux vice-roi, transmet le pouvoir aux nationalistes indiens, ceux-ci se trouvent à la tête d’un pays à la fois avancé par rapport aux autres pays du Tiers Monde et très pauvre.

Les Britanniques n’ont pas créé leur empire ex nihilo. Ils avaient hérité de structures politiques, administratives, économiques qu’ils avaient progressivement adaptées, voire développées. Ils laissaient un bilan contrasté. Positifs étaient le début de mise en place d’institutions politiques qui allaient faciliter les premiers pas du pays indépendant, une base administrative où la majorité des fonctionnaires étaient indiens (employés moyens et inférieurs ont de tout temps été des locaux), des universités, pépinières d’élites modernes dont les trois plus anciennes remontent à 1857. Dans certaines régions (Nord-Ouest et Sud-Est), les Britanniques ont créé ou relancé de vastes systèmes de canaux d’irrigation. Ailleurs, ils ont encouragé de nouvelles cultures, dont le thé, le jute. En revanche, d’autres zones rurales très vastes sont restées peu touchées. Routes et voies ferrées constituaient des réseaux d’une densité relativement élevée. Des métropoles modernes, Ahmedabad, Calcutta, Bombay, Madras, ont vu le jour avec leurs réseaux de banques, de grand commerce appartenant à des Indiens ou à des Britanniques. D’importantes industries furent créées: textiles de coton, industries alimentaires, aciéries, mécanique, produits chimiques. Si les Anglais ont tardivement favorisé l’industrialisation, entre autres au cours des deux guerres mondiales, le fait demeure qu’une base relativement large et différenciée existait en 1947. L’ensemble de ce développement place alors l’Inde au dixième rang des puissances industrielles dans le monde.

Face à ces atouts, les points sombres. Mis à part le pillage (surtout au Bengale) et les abus les plus criants qui caractérisent les premières phases de la domination britannique, le fait le plus négatif de la colonisation tient au déséquilibre qui se creusa entre population et ressources. La première passa de 150-200 millions vers 1800 à 430 millions en 1947 (Pakistan inclus) à la suite de la paix britannique, des progrès de l’hygiène, de la prévention tardive des famines. De leur côté, ressources et marché du travail ne suivaient pas, d’où des tensions croissantes. Les villes absorbaient trop peu de ruraux. Dans les villages, la pression des hommes s’accentua sur la terre. Peu important jusque vers le dernier tiers du XIXe siècle, le prolétariat rural prit alors des dimensions inquiétantes, tandis que le nombre des exploitations agricoles s’accroissait et que leur taille diminuait.

L’ensemble de ces facteurs imposa aux dirigeants de l’Inde une double tâche: corriger les déséquilibres entre les hommes et l’économie, accélérer l’expansion de cette dernière pour améliorer les niveaux de vie.

3. Population et emploi

La population

À partir du recensement de 1921, la population entre dans une phase continue d’accroissement. Les grandes catastrophes, épidémies, famines, qui redoublent d’intensité entre 1891 et 1921, sont définitivement enrayées à l’exception de la famine du Bengale de 1943. Néanmoins, jusqu’en 1951, le mouvement reste relativement lent en raison d’une forte mortalité.

Dix ans plus tard (tabl. 1), la population a basculé dans une première phase d’accélération à la suite du recul sensible de la mortalité, sans que la natalité se modifie. L’Inde affronte la tendance classique de nombreux pays sous-développés: la médecine préventive progresse grâce à des moyens peu coûteux tels que vaccinations, antibiotiques, lutte contre la malaria. À noter aussi des améliorations dans le domaine de l’eau potable et d’autres mesures d’hygiène publique.

Au cours des vingt années qui suivent, la croissance s’accélère encore, puis se stabilise ou baisse légèrement. Le recul de la mortalité ralentit, la natalité commence à décliner.

La population urbaine s’accroît plus vite que celle des campagnes, à la suite de l’exode rural. Néanmoins, ce mouvement est moins précipité que dans bien d’autres pays du Tiers Monde, et l’on ne décèle pas en Inde un gonflement aussi démesuré du tertiaire urbain, sans parler des oisifs, qu’en Amérique latine et en Afrique. «Dans cinq cas sur dix, le secteur secondaire – incluant les transports, mais pas la construction – emploie plus de monde que le tertiaire» (F. Pesneaud).

Un autre trait, assez curieux et mal expliqué bien qu’ancien, est la prédominance des hommes sur les femmes: 1 000 pour 935 en 1981.

La prévention des naissances

L’Inde est le premier pays du Tiers Monde à mettre en œuvre, dès 1951, un programme de planning familial. Cependant, jusqu’en 1965-1966, les efforts du gouvernement restent très modestes. Le risque de famine à l’époque, la hausse du chômage, l’accélération de la croissance démographique incitent les autorités à se montrer plus actives. De nombreux programmes sont lancés en ville et à la campagne, avec une large gamme de moyens: stérilisation des hommes et des femmes, stérilets, condoms.

Au niveau des masses, la prise de conscience a fait de nets progrès, de même que la connaissance des moyens anticonceptionnels. Dans les villes, le nombre des couples pratiquant une forme ou une autre de contraception augmente, même au sein des petites classes moyennes.

La situation dans les villages est très variable. Dans plusieurs États, Andhra, Tamil N du, Kerala, Mah r shtra, Gujr t, des gains sensibles apparaissent, qui sont liés au niveau général de l’administration et des autorités politiques. Au R jasth n, dans l’Uttar Pradesh, au Bih r, en Assam, en Orissa, au Madhya Pradesh, le mouvement reste trop lent.

Les paysans se rendent aujourd’hui mieux compte de l’inconvénient d’avoir quatre à huit enfants, surtout les moyens et petits propriétaires dont les terres devront être divisées en plusieurs parts à la mort du père (seuls les fils héritent de la terre). Pour les paysans sans terre, le besoin de planning familial est moins urgent car, encore aujourd’hui, ils ont peu ou moins d’enfants, à cause d’une très lourde mortalité infantile.

S’il est excessif de parler d’échec du planning familial, force est de reconnaître que le progrès est relativement lent, comme le confirme le recensement de 1991. Le taux d’accroissement naturel (différence entre la natalité et la mortalité) tombe à peine au-dessous de 20 p. 1 000. Les écarts entre États s’accentuent: le Kerala, le Tamil N du, le Karn taka, le Gujr t arrivent à un taux décennal compris entre 14 et 20 p. 1 000, alors que le Hindi Belt (Bih r, Uttar Pradesh, Haryana, Madhya Pradesh, R jasth n) connaît 25 p. 1 000 ou davantage.

En prolongeant les tendances actuelles, la population devrait passer le cap du milliard autour de l’an 2000. Cette énorme masse suscite des inquiétudes grandissantes: densités de 500 à 800 habitants par kilomètre carré dans les plaines, prolifération des bidonvilles malgré une urbanisation relativement lente (25,73 p. 100 d’urbains en 1991, contre 17,6 p. 100 en 1951), tensions sociopolitiques, multiples carences en matière de santé, d’éducation... Il est dès lors curieux de constater que la prévention des naissances figure de manière limitée dans les déclarations du gouvernement sur les réformes économiques, au lieu d’être l’un des thèmes prioritaires.

Population active, emploi, chômage

En matière de travail, les statistiques ne doivent pas être prises au pied de la lettre. Elles indiquent au mieux des tendances. La population active augmente en quantité et en pourcentage, signe du ralentissement démographique: 33,06 p. 100 en 1971, 37,5 p. 100 en 1991.

Les structures de la population active prennent du temps à se modifier, reflet d’une expansion économique qui n’a pas été très rapide, conséquence aussi du fort accroissement de la population depuis 1951. Le pourcentage de travailleurs dans l’agriculture baisse lentement (tabl. 2): en d’autres termes, les secteurs secondaire et tertiaire n’absorbent qu’une partie limitée du trop-plein qui pèse sur les campagnes. Par ailleurs, dans le domaine agricole, la proportion des paysans sans terre augmente par rapport à celle des propriétaires: 26,15 p. 100 du total des actifs en 1991, contre 24,94 p. 100 en 1981. Il faut souligner, circonstance aggravante, que cette lente évolution des structures de l’emploi correspond, pour 1981-1991, à une décennie de nette accélération de la croissance économique (5,5 p. 100 par an, contre 3,5 p. 100 pour 1951-1981).

Les statistiques et estimations sur le chômage et le sous-emploi sont particulièrement fragiles. Le premier toucherait 23 millions d’actifs en 1992. Quant au second, il n’est guère mesurable. Selon les estimations du ministère du Travail, le taux annuel de croissance des emplois a été de 1,95 p. 100 par an pour la période 1978-1988; s’il ne monte pas à 2,6-2,8 p. 100, le nombre des chômeurs pourrait atteindre 94 millions en 2002. L’emploi demeure plus que jamais un problème majeur. Créer du travail constitue le meilleur remède contre la pauvreté – vérité élémentaire, pourtant souvent oubliée. Alléger le chômage contribuerait à atténuer les luttes politiques car, actuellement, bon nombre de troubles intercommunautaires entre castes, entre classes, entre hindous et musulmans sont suscités ou avivés par les rivalités socio-économiques, la lutte pour le moindre emploi.

4. Planification et politique de développement

L’Inde est la première nation asiatique à se lancer dans une vaste entreprise de planification, à partir de 1951. Grâce à ses élites (économistes, hauts fonctionnaires, statisticiens), elle ne recourt d’emblée qu’à un faible nombre d’experts étrangers. De plus, déjà avant la Seconde Guerre mondiale, le parti du Congrès avait commencé à se préoccuper du développement futur.

Face aux modèles de l’U.R.S.S. et des économies occidentales, l’Inde entend ouvrir sa propre voie où se retrouve son souci des compromis. Seules quelques nationalisations (compagnies d’aviation et d’assurance-vie) ont lieu. En revanche, l’État entend prendre en charge la totalité ou, selon les cas, le gros de l’expansion du secteur lourd tel que aciéries, biens d’équipement lourd, armement, énergie nucléaire, centrales hydroélectriques et thermiques. L’État va s’intéresser progressivement à d’autres domaines: engrais chimiques, produits pharmaceutiques. Le secteur privé est également actif dans ces secteurs et dans bien d’autres: textiles, mécanique, véhicules à moteur. Le groupe Tata va doubler la capacité de ses aciéries. Transports ferroviaires et routiers progressent fortement.

Les grands projets du secteur public relèvent du pouvoir central, de même que les principaux aménagements hydrauliques. Les États sont en revanche responsables de nombreuses tâches concernant le développement rural avec, selon les projets, des fonds alloués par New Delhi.

L’État central intervient également dans l’économie par des voies indirectes qui deviendront de plus en plus importantes: nombreux contrôles en matière de prix pour les produits relevant du secteur privé comme des entreprises publiques, licences pour la création ou l’agrandissement des usines privées, pour l’octroi de quotas d’importation. Subventions ou, au contraire, taxes jouent un rôle croissant.

Non moins révélateur est, dès le début, le souci d’encourager, parallèlement à la grande industrie moderne, les petites entreprises, depuis l’artisanat des textiles jusqu’aux petites usines et ateliers.

La planification

Le premier plan quinquennal (1951-1956) est à la fois un programme de reconstruction de l’économie perturbée par les effets de la Seconde Guerre mondiale et le partage de l’empire, et une première opération de démarrage. Infrastructure et grands travaux d’irrigation, certains d’entre eux étant déjà en chantier, reçoivent la priorité. En outre, le premier plan intervient à plusieurs niveaux: il est hors de question de miser seulement sur la hausse du P.N.B. Celle-ci doit s’accompagner d’une meilleure justice sociale, de mesures pour réduire la pauvreté et pour satisfaire les besoins essentiels: point qui mérite d’être souligné au moment où ces éléments sont présentés comme une «nouveauté» dans les débats sur le Tiers Monde!

Ce premier plan se solde par un grand succès avec, il est vrai, l’appui d’une nature généreuse qui favorise la production agricole. Cédant à un excès d’optimisme, les dirigeants se lancent dans un deuxième plan (1956-1961) beaucoup plus ambitieux, mettant l’accent sur l’industrie lourde: création de trois grands complexes sidérurgiques, d’usines d’équipement lourd et d’entreprises diverses. L’ensemble est assorti de collaborations étrangères (crédits, assistance technique) des pays occidentaux et de l’U.R.S.S. Sans être négligée, l’agriculture est moins mise en vedette.

Le troisième plan (1961-1966) continue sur la lancée du deuxième, mais, en 1966, la machine s’enraye pour des causes économiques et politiques. Le secteur public important mis en place ne tient pas ses promesses. L’agriculture plafonne, faute d’innovations techniques. Coup sur coup, en 1965 et en 1966, la mousson est catastrophique. L’Inde n’évite une terrible famine que grâce au blé américain et à l’efficacité de son administration pour distribuer ce dernier. La brève guerre dans l’Himalaya entre la Chine et l’Inde en 1962 (lourde défaite pour la seconde), la deuxième guerre indo-pakistanaise en 1965 (ni vainqueur, ni vaincu) se traduisent par l’escalade des dépenses militaires, jusqu’alors modérées, situation qui perdurera.

À partir de 1966, l’industrie connaît une progression ralentie, tandis que la révolution verte donne un nouveau départ à l’agriculture, au point que le déficit en céréales baisse et même, selon les années, disparaît.

Les médiocres performances de l’industrie dans les années 1966-1980 s’expliquent dans une large mesure par le renforcement des choix socialisants d’Indira Gandhi, commandés beaucoup plus par un opportunisme très politicien que par des critères économiques. En 1969, les mines de charbon et les banques (sauf celles qui appartiennent à des étrangers) sont nationalisées. Les contrôles exercés sur le secteur privé se renforcent encore. Les grandes entreprises se voient interdire la production de certains biens de consommation, réservée à la petite industrie. Le Monopoly and Restrictive Trade Practices Act (M.R.T.P., 1969) limite l’expansion des grands groupes industriels. Le Foreign Exchange Regulations Act (F.E.R.A., 1973) vise les entreprises étrangères, dont la part de capital est réduite à 40 p. 100 sauf certaines exceptions, conditions qui s’assortissent de formalités contraignantes.

L’État crée des corporations pour le commerce avec les pays socialistes, pour le stockage et la distribution d’une partie des céréales. Les interventions en matière de prix se multiplient. Quant au commerce extérieur, il est toujours plus sévèrement réglementé: restrictions quantitatives, droits de douane très élevés.

En même temps, l’Inde, et cela dès le début de sa planification, joue mal la carte du commerce extérieur. Elle ne pousse pas assez ses exportations ou, si l’on préfère, elle ne participe pas assez à l’énorme essor du commerce mondial.

Vers les premières réformes économiques (1980-1990)

Dès la fin des années 1970, les cris d’alarme se font entendre de manière toujours plus explicite. Le taux d’épargne et d’investissement a eu beau doubler de 1951 à 1980, pour atteindre quelque 20 p. 100 du P.N.B., la croissance annuelle moyenne est, bon an mal an, de 3,5 p. 100, ce qu’un économiste indien baptise le Hindu Rate of Growth . De nombreuses faiblesses deviennent aveuglantes.

Le secteur public (industrie, banques, entreprises commerciales), qui pèse de plus en plus lourd (40 p. 100 de la production industrielle contre 8 p. 100 en 1961), travaille à perte ou dégage de très maigres profits. Le secteur privé est corseté de formalités administratives, de règlements et de contrôles qui sapent son dynamisme potentiel. Les pesanteurs bureaucratiques entraînent, dans les deux secteurs, public et privé, de multiples lenteurs et retards, toujours plus coûteux. Certains grands projets mettront plusieurs années avant d’obtenir le feu vert du gouvernement. Puis d’autres retards surviendront dans la phase de construction. Ces lourdeurs administratives créent un terrain propice à la corruption, qui se joue dans un triangle formé par les politiciens, l’administration, les milieux d’affaires. Les interventions des premiers dans les banques, dans les nominations des hauts responsables du secteur public ne sont pas moins nocives.

L’Inde a atteint un niveau très important d’autonomie, dans le concert du Tiers Monde, en matière industrielle. Elle couvre une part très élevée de ses besoins grâce au progrès du secteur industriel: acier, équipements lourds, machines, véhicules, électroménager, agroalimentaire, etc. Le made in India domine de manière écrasante sur le marché. Cette situation se révèle moins favorable qu’il n’y paraît à première vue. De 1951 à 1966, l’Inde a élargi sa base industrielle. Depuis lors, elle a vécu sur ces acquis, avec de faibles apports des nouvelles technologiques qui se développent dans le monde. Les hautes barrières douanières aidant, l’industrie est devenue peu efficace: coûts élevés, qualité médiocre. Parallèlement, l’amélioration des niveaux de vie est lente, la misère recule trop faiblement.

La mise en question de la stratégie de développement suivie jusqu’alors est lancée par de hauts fonctionnaires, quelques économistes, de rares intellectuels. Les politiciens, notamment Indira Gandhi, suivront le mouvement plus qu’ils ne le conduiront. Des assouplissements du système apparaissent entre 1980 et 1984. Avec l’arrivée au pouvoir de Rajiv Gandhi, le courant réformiste se renforce grâce à l’engagement personnel du nouveau Premier ministre. Malheureusement, la libéralisation s’enraye après quelques années. Rajiv Gandhi maîtrise mal la scène politique. Il n’ose pas aller plus loin.

Les premières réformes ne sont pas pour autant négligeables. Elles marquent le début d’une plus grande ouverture sur l’extérieur. L’industrie commence à renouveler les équipements vétustes. Les accords de transfert de technologie se font plus nombreux. De nouvelles générations d’industriels et de hauts fonctionnaires montent en ligne. Les dogmes socialo-populistes s’ébrèchent. Les «idées du temps» se propagent à travers le monde, y compris l’Inde! L’économie passe à la vitesse supérieure, avec un taux annuel moyen de croissance de 5,5 p. 100 (7,5 p. 100 pour l’industrie).

Ces évolutions positives sont assombries par le déficit croissant du budget. Le poids des subventions directes et indirectes (pour les engrais chimiques, les exportations, l’électricité, l’irrigation, les céréales), les charges de la défense nationale et de l’administration deviennent insupportables. Malgré des progrès, les exportations n’arrivent pas à couvrir les importations. Au début de 1992, l’Inde est aux abois. Les réserves de change n’assurent plus que quelques semaines d’importations, la faiblesse du gouvernement et l’instabilité politique marginalisent le pays sur la scène internationale. Plus une banque étrangère ne veut accorder de crédit.

Les réformes de 1991-1993

Sur cette sombre toile de fond émerge, à la suite des élections de mai-juin 1991, un gouvernement semblant manquer de consistance. Et pourtant, c’est à ce moment que l’Inde procède enfin à des réformes radicales de son système économique. Que les pressions du F.M.I. et de la Banque mondiale aient joué un rôle ne fait guère de doute; en revanche, il est faux d’affirmer que les réformes et celles qui suivront ont été imposées par ces institutions.

La grande chance de l’Inde est d’avoir un ministre des Finances, le sikh Manmohan Singh, d’envergure exceptionnelle. Économiste chevronné, homme aussi intègre que lucide, il se met à l’ouvrage avec une brillante équipe de hauts fonctionnaires acquis totalement aux réformes qu’ils préparent déjà depuis quelques années. Un premier train de mesures est lancé en juillet 1991. Un autre suit en février-mars 1993, lors de l’adoption du budget. Longtemps victimes de leur ethnocentrisme, les Indiens sont rudement secoués par Manmohan Singh. Dans sa première déclaration, en juillet 1991, il parle net: «En 1960, le revenu par tête des Coréens était comparable au nôtre. Aujourd’hui, il est plus de dix fois supérieur [...]. Le monde doit savoir que l’Inde a changé.»

Le premier train de réformes va au plus pressé: l’endettement, extérieur et intérieur. Le déficit budgétaire doit être contenu. Diverses subventions (engrais, exportations) sont réduites ou supprimées, certaines relevées. Banque mondiale et F.M.I. apportent leur soutien avec de gros crédits pour enrayer l’hémorragie de devises. En même temps, la roupie est dévaluée pour relancer les exportations. Le secteur privé bénéficie de nombreuses mesures de libéralisation. Les investissements privés étrangers font l’objet d’une politique nouvelle beaucoup plus ouverte. Le marché des capitaux avait déjà connu une première phase d’expansion sous Rajiv Gandhi. Il est encouragé à jouer un rôle grandissant comme source de financement, grâce aux progrès des Bourses.

Les réformes s’accélèrent au moment où Manmohan Singh présente le budget de 1993-1994. La roupie devient convertible, le crédit bancaire se desserre, divers stimulants fiscaux sont institués. Entre-temps, l’inflation a baissé, comme le déficit budgétaire, tandis que les réserves de change retrouvent un seuil de sécurité acceptable. D’autres décisions élargissent la déréglementation du secteur privé; certains domaines, réservés jusqu’alors à l’État (centrales électriques, routes), sont ouverts aux capitaux privés et étrangers.

Si heureuses soient-elles, les réformes n’ont pas dissipé, tant s’en faut, tous les nuages à l’horizon. La première question est d’ordre politique. L’Inde affronte des turbulences très graves. Dans quelle mesure celles-ci vont-elles peser sur les réformes? L’impression dominante, chez beaucoup d’Indiens et d’étrangers, est que, si les remous de la scène politique ne s’accentuent pas trop, l’Inde pourra connaître une expansion relativement importante.

Sur le plan économique apparaissent aussi de sérieux aléas. Ainsi, il reste encore à faire pour pousser plus avant la déréglementation du secteur privé. L’ouverture faite aux investissements privés étrangers suscite des réponses, certes positives, mais encore assez réservées. En 1992, l’Inde a reçu 350 millions de dollars (versés), somme nettement supérieure aux très faibles flux des années 1970-1990, mais qui reste loin d’atteindre les milliards de dollars qui affluent en Extrême-Orient, dont la Chine, et en Asie du Sud-Est. Certes, nombre de multinationales s’intéressent au marché indien, mais elles estiment que les conditions qu’on leur offre mériteraient de s’améliorer encore. De surcroît, les milieux hostiles aux entreprises étrangères (nationalistes étroits, industriels indiens craignant la concurrence) n’ont pas dit leur dernier mot.

La lutte contre l’inflation et le manque de devises en 1992 ont suscité un fort ralentissement de la croissance industrielle, dont la reprise restait assez faible en 1993.

Les contraintes qui pèsent sur les secteurs de l’énergie et des transports entravent la marche générale de l’économie. Ajoutons à l’inventaire un dossier aussi lourd que délicat: le secteur public, avec ses industries et ses banques dans le rouge ou récoltant de maigres profits. Le gouvernement n’a pas encore osé s’engager dans les privatisations, sinon d’une manière partielle (participation au capital de certaines entreprises). Il est non moins hésitant sur ce qu’on appelle l’exit policy , c’est-à-dire la possibilité de renvoyer l’excès de personnel (défaut très répandu). Les problèmes de licenciement touchent aussi le secteur privé. Le gouvernement s’efforce d’améliorer le fonctionnement du secteur public, dans lequel il dispose d’une marge de manœuvre non négligeable. Le poids des syndicats, le rôle des partis politiques, les risques de grèves qui, en Inde, peuvent être dures et longues, justifient, dans une certaine mesure, la prudence des autorités.

En bref, malgré des incertitudes, des décisions encore incomplètes, ces premières réformes vont dans la bonne direction.

5. Le monde rural

Le monde rural constitue près des trois quarts de la population et l’agriculture occupe près des deux tiers de la population active. Elle conserve une très large place dans la formation du produit national. Contrairement à tant d’idées simplistes, progrès et changements apparaissent pratiquement dans toute l’Inde.

L’arrière-plan historique

Peu après l’indépendance, de très nombreux districts restaient en marge de l’économie nationale, isolés, dotés de mauvaises routes, dépourvus du moindre signe de modernisation. Aujourd’hui, même les jungles peuplées d’aborigènes commencent à se transformer. Mais ce qui frappe alors, c’est la diversité des situations, des cadences de croissance et de changement social.

Les districts avancés occupent le nord-ouest du pays, de la frontière pakistanaise au Gange, soit le Pañjab, l’Haryana et l’ouest de l’Uttar Pradesh. Il en va de même des deltas de la côte de Coromandel dans le Sud-Est. Ces régions bénéficient de vastes canaux d’irrigation à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Il en résulte un mouvement général de l’économie: croissance des céréales (blé et riz dans le Nord-Ouest, riz dans le Sud-Est), cultures commerciales, infrastructures routière et ferroviaire, progression des villes et des gros bourgs. Les surfaces cultivées augmentent, les rendements des terres s’élèvent. Sur l’agriculture se greffe l’amorce d’une plus grande diversification de l’économie.

La situation est différente sur le cours moyen du Gange, au Bengale, en Assam, en Oriss où seule la surface cultivée s’étend sous l’effet de l’accroissement démographique. L’irrigation ne progresse guère, les rendements n’augmentent pas, l’économie se diversifie faiblement, l’infrastructure routière et ferroviaire est souvent médiocre. Dans l’Inde péninsulaire, quelques zones comme dans le Mysore (l’actuel Karn taka) et dans le district de Coimbatore (l’actuel Tamil N du) connaissent un certain essor. Le coton gagne du terrain dans l’arrière-pays de Bombay, mais avec des rendements extrêmement faibles.

Ainsi, au moment de l’indépendance, des écarts très sensibles apparaissent d’une région à l’autre. Dans les districts en retard, le déséquilibre entre ressources et population est déjà alarmant. Dans les districts avancés, la croissance agricole s’était néanmoins ralentie à partir des années 1920-1930.

Structures et réformes agraires

Le système zamindari, qui prédominait dans le bassin du Gange et dans certaines zones méridionales, est aboli peu après l’indépendance. Les zamindars, propriétaires du sol, recevaient une rente de leurs tenanciers, dont ils versaient une partie à l’État sous forme d’impôt. Ils perdent leurs droits pour ne garder que les terres qu’ils cultivaient directement. Les tenanciers, qui en général disposaient d’un droit d’occupation et de transmission à leurs héritiers, deviennent propriétaires des terres qu’ils exploitaient, contre le versement à l’État d’une somme destinée à indemniser les zamindars. Sinon, ils conservent leurs anciens droits, tandis que l’État devient propriétaire. Ces mesures entraînent la disparition des autres droits des zamindars sur les paysans: corvée, redevances diverses. L’abolition du système est appréciée des paysans dans la mesure où elle affaiblit la position des notables, mais elle n’implique pas de redistribution effective des terres.

L’autre grand système, ryotwari , selon lequel le paysan acquittait l’impôt directement à l’État, reste inchangé.

Des lois sont introduites, par la suite, en vue de fixer un plafond à la propriété, ce qui donne de faibles résultats car les propriétaires partagent fictivement leurs domaines entre les nombreux membres de leur famille.

D’autres lois essayent de réglementer les conditions du métayage en augmentant la part du métayer au-delà de 50 p. 100 de la production. Parfois, elles interdisent tel ou tel système, sans grand succès, faute de moyens pour faire respecter les dispositions. Étant donné la pression démographique, le métayer n’osera pas prendre le risque de porter plainte, par crainte de se faire expulser.

Les dispositions légales sur les salaires des manœuvres agricoles portent peu de fruits, sauf à une époque ultérieure au Kerala, grâce à la forte implantation du Parti communiste. Comment faire appliquer de telles lois alors qu’il existe, sauf en de rares moments, pléthore de main-d’œuvre?

Les résultats limités des réformes agraires s’expliquent par plusieurs raisons. Ce domaine relève des États. Or les assemblées législatives responsables du vote des lois comportent de gros contingents de grands et moyens propriétaires fonciers évidemment peu favorables à de telles mesures.

En outre, la marge de manœuvre en matière de droit foncier est restreinte. Il n’y a pas assez de terre pour tous ceux qui en sont dépourvus ou qui ne disposent que de quelques ares. Sous réserve d’exceptions comme au Bih r, un grand propriétaire indien possède très rarement plus de 10 à 20 hectares de terre. Ainsi, les premiers plafonds (16 ha de bonne terre en Uttar Pradesh par exemple) n’auraient-ils de toute manière pas permis de libérer assez d’espace cultivé. Même si on avait pu faire respecter le nouveau plafond abaissé à 6,3 ha irrigués dans l’Uttar Pradesh (1972), la situation ne se serait pas modifiée de manière sensible. Après l’introduction des lois les plus récentes, en mars 1980 un million d’hectares seulement avait été récupéré dans toute l’Inde, dont 700 000 étaient attribués à 1,15 million de paysans sans terre (tabl. 3).

À l’échelon national, le tableau se décompose ainsi: le nombre des exploitations passe de 74,4 millions en 1970-1971 à 89,5 millions en 1980-1981, ce qui confirme la fragmentation des domaines, amorcée de longue date et conséquence de l’accroissement démographique.

En 1980-1981, 56,5 p. 100 des exploitants, avec moins d’un hectare chacun, détiennent 10,7 p. 100 des terres; la proportion de ceux qui possèdent moins de 2 hectares (moins d’un hectare inclus) atteint 74,5 p. 100 avec 26 p. 100 des terres. Des 25,5 p. 100 restants, la moitié se situe au-dessus de 4 hectares avec 57 p. 100 des terres. À ces chiffres s’ajoutent les familles sans terre du tout dont les travailleurs représentent 26 p. 100 de la population active totale.

Qu’en est-il du métayage et du fermage? Seules un peu plus de 10 p. 100 des terres seraient cultivées de la sorte. Même si ce chiffre est une estimation inférieure à la réalité, il ne fait pas de doute que, d’une manière générale, les propriétaires exploitants prédominent très largement.

Une des solutions du problème agraire serait une forme ou une autre de collectivisation; mais cet acte, politique par excellence, n’a aucune chance de se concrétiser dans l’actuelle constellation des forces politiques ni même dans l’avenir, sous réserve d’événements mal prévisibles. Seuls quelques États, Kerala, Bengale occidental, abritent des partis communistes relativement puissants, mais freinés dans leurs aspirations par la Constitution.

Quant à de nouveaux essais de redistribution de terre, ils n’apporteraient pas de véritable solution, d’autant plus que les domaines des grands et moyens propriétaires tendent de plus en plus à se morceler à la mort du père.

Cependant, malgré les défauts du système agraire, l’agriculture a connu une expansion substantielle et les rapports de caste et classe ne sont pas restés inchangés.

La politique de développement rural

Au cours de plus de quatre décennies écoulées se dégagent deux phases relativement distinctes. Dans la première (1951-1961), le gouvernement mise sur la création ou l’expansion des institutions rurales: essor des coopératives à partir du mouvement amorcé sous les Britanniques, création progressive de cinq mille «blocs de développement communautaires» (de 50 000 à 100 000 habitants), avec un personnel d’encadrement dans pratiquement la totalité des quatre cent cinq districts, renforcement des panchayats (conseils de village), élus au suffrage universel, création de conseils au niveau du bloc, élargissement des pouvoirs des conseils de district (le district board des Britanniques).

L’idée est de stimuler l’esprit de self-help , le développement depuis la base, la prise en charge de leurs efforts par les paysans eux-mêmes, soutenus par de nouvelles filières administratives: vulgarisation agricole, progrès de l’hygiène, de l’éducation, du crédit. En même temps, ces mesures devraient promouvoir une plus grande justice sociale.

Parallèlement se poursuivent ou débutent de grands travaux d’irrigation dans le cadre du gouvernement central et des États.

Cette politique suscite au départ des espoirs exagérés qui, par la suite, conduisent à des déceptions amères. En fait, et d’un point de vue économique et sous l’angle de la justice sociale, les résultats tels qu’ils apparaissent au début du troisième plan (1961-1966) restent très en deçà des objectifs.

Première critique, la tendance à s’occuper de tous les aspects du développement rural (multi-purpose approach ) aboutit à négliger la production agricole, d’où la nécessité d’apporter des correctifs dans cette direction.

Deuxièmement, le personnel administratif est d’un niveau qui oscille entre le moyen et le médiocre, ce qui paraît quasi inévitable quand on songe au nombre de fonctionnaires mis en place: de quinze à trente par bloc. Les services agricoles et les coopératives fonctionnent avec passablement de «coulage», de corruption ou souffrent d’inertie. Il existe des différences sensibles entre les États: ainsi, le mouvement coopératif est plus actif au Pañjab, au Mah r shtra qu’au Bih r ou en Assam.

Face à ces critiques, il faut opposer des points positifs comme la diminution de l’isolement des villages, l’amélioration du réseau routier qui ira en s’amplifiant, l’introduction – certes timide – de nouvelles techniques telles que pompes d’irrigation, engrais chimiques.

Sur le plan social, le bilan est plutôt limité après une décennie. Les dirigeants auraient dû prévoir ce qui était inévitable. Faute de profondes réformes de la société rurale, voire d’une révolution, les nouvelles institutions ne pouvaient guère favoriser les pauvres: manœuvres agricoles, très petits propriétaires. Pourtant, il est faux de prétendre que les nouvelles institutions n’ont profité qu’aux riches. Beaucoup de paysans moyens ont tiré profit des nouvelles possibilités de crédit et des efforts de vulgarisation agricole, d’où la montée de nouvelles classes, non pas des riches, mais des paysans qui passent d’un niveau de vie très frugal à un début de petite aisance.

Sur ce canevas interviennent les castes. Au bas de l’échelle, caste et classe correspondent souvent, ce qui est loin d’être toujours le cas aux autres échelons, d’où l’extrême complexité des rapports de force, les combinaisons multiples entre castes et classes.

La remontée des importations de grains à partir de 1957-1958, la pression démographique, la hausse du chômage et les leçons tirées des premières expériences conduisent à une réorientation de la politique agricole. L’accent est mis sur la petite irrigation (puits tubés à pompes, pompes sur les puits ou les rivières) qui donne des résultats plus rapides et moins coûteux que les grands projets. La recherche agronomique se renforce avec l’appui des fondations Ford et Rockefeller et du gouvernement américain. Les nouvelles semences, surtout blé et riz, font leur apparition, ce qu’on appelle d’ailleurs à tort «révolution verte». Les premières variétés proviennent de l’extérieur (blé mexicain, riz de l’Institut international des Philippines). Elles sont par la suite croisées avec des semences indiennes. Sur ce processus se greffe la multiplication des semences, ainsi que leur distribution et leur renouvellement.

Ces variétés sont courtes sur tige et réagissent mieux à l’engrais chimique que les céréales traditionnelles, mais elles exigent aussi plus d’eau. Les trois éléments sont indissociables, ce qui compromet ou exclut la diffusion des nouvelles semences dans les zones de faible pluviosité et non irriguées. Plus homogènes que les semences habituelles, les blés et riz à haut rendement peuvent être plus vulnérables aux maladies, insectes et autres parasites, surtout en saison des pluies, ce qui nécessite des traitements antiparasitaires.

Ces innovations se trouvent stimulées par les deux années de sécheresse catastrophiques de 1965 et 1966. À partir de l’année suivante, la courbe de la production se relève de manière sensible, et les importations reculent.

Si l’importance donnée aux facteurs techniques se maintient depuis 1965-1966, se reposent périodiquement le problème des paysans pauvres et celui de l’opportunité d’un renforcement des programmes sociaux. Légitime dans ses objectifs, ce souci n’est pas dépourvu d’arrière-pensées politiques de la part du gouvernement.

Un premier train de mesures est lancé entre 1971 et 1975. Des organisations spéciales sont introduites dans les campagnes (Small Farmers Development Agencies) et les régions particulièrement vulnérables à la sécheresse. Des crédits à des conditions de faveur sont accordés aux petits propriétaires et aux paysans sans terre.

Dans les années 1980, Indira Gandhi puis son fils introduisent de nouveaux programmes de crédit pour les pauvres et d’autres pour la création d’emplois: Integrated Rural Development, National Rural Employment... Au niveau de chaque district, une nouvelle organisation est créée pour couvrir ces activités: District Rural Development Agency.

Il serait injuste de rejeter entièrement cette attaque directe contre la pauvreté. Il existe de petits propriétaires et des paysans sans terre qui ont pu améliorer leur sort. Néanmoins, les mêmes critiques se répètent – et tendent à augmenter – depuis de longues années. L’identification des plus pauvres par les autorités locales subit beaucoup d’entorses, au point qu’il n’est pas rare de voir un paysan riche profiter d’un crédit (avec une part de subvention) destiné aux pauvres. Ces derniers se plaignent de devoir verser force bakchichs aux fonctionnaires pour obtenir un crédit. Dans d’autres cas un paysan sans terre achète à bon compte une vache, mais comme il manque de fourrage il doit finalement vendre l’animal.

Le coulage, les détournements et autres abus représentent une part substantielle des fonds affectés à ces programmes, comme l’indiquent divers rapports d’évaluation. Dans ces conditions, il est curieux que ces programmes continuent à s’accroître. L’opportunisme politique prend souvent le pas sur le souci d’aider les pauvres.

Les tendances de la production

Dans une première phase (1951-1961), la production augmente surtout grâce à l’intensification des techniques traditionnelles: grands travaux d’irrigation, puits, défrichements. Ces derniers sont importants, au point de toucher des terres marginales. De leur côté, les rendements à l’hectare n’augmentent que faiblement. Peu après 1961, il devient évident que les techniques traditionnelles tendent à plafonner, ce qui stimule l’introduction des techniques nouvelles.

La triade: puits tubés à pompe, semences, engrais est efficace pour le blé qui connaît une progression spectaculaire. Dans le cas du riz, les mécanismes se révèlent plus complexes. La culture de cette plante s’accommode de conditions très variées (irrigation, champs inondés par les pluies). Les microclimats en particulier ont des incidences, de sorte qu’une variété nouvelle peut bien réussir dans une région et échouer dans une autre. En outre, le riz cultivé principalement pendant la mousson se trouve beaucoup plus exposé aux parasites et aux maladies que les cultures en saison sèche.

Jowar (sorgho), bajra (petit mil) gagnent du terrain, sans hausse marquée des rendements. Ne dépendant, en général, que des pluies, ils sont d’autant plus vulnérables aux caprices de la mousson. Dans les zones semi-arides ou arides comme au R jasth n, les écarts sont énormes d’une année à l’autre.

Les nombreuses variétés de légumineuses progressent en surface, surtout dans la première phase, sans amélioration des rendements.

Le secteur des cultures essentiellement commerciales connaît une expansion très marquée pour la canne à sucre. Le coton progresse et se développerait plus vite si les vastes étendues du Mah r shtra pouvaient être irriguées – hypothèse peu réalisable en l’absence d’un fort potentiel hydraulique dans ces régions. En revanche, les oléagineux ont longtemps accusé une croissance médiocre qu’il fallait compenser par de fortes importations; leur courbe, cependant, se relève maintenant de façon significative grâce à l’introduction de nouvelles variétés, pour la moutarde notamment, et grâce à la propagation du soja et du tournesol. Pour le jute, les progrès sont limités, un peu plus sensibles pour le thé.

L’élevage, la production de lait, des œufs et des volailles, les ceintures maraîchères autour des villes et des gros bourgs connaissent une progression indéniable, même si les statistiques restent fort incertaines.

La production avance par phases, coupées de paliers (tabl. 4). Elle atteint 180,3 millions de tonnes de céréales et légumineuses en 1992-1993, soit un gain de 236 p. 100 depuis 1950, face à la hausse démographique de 139 p. 100. Parallèlement, les importations de grain, après avoir culminé à 10 millions de tonnes en 1966, soit ont disparu, soit se situent autour de 2 millions de tonnes dans les mauvaises années. De plus, l’Inde exporte du riz de haute qualité depuis quelques années (environ 1 million de tonnes par an).

Parallèlement à cette progression, l’État améliore les mesures de stockage par la construction de silos et par une politique de prix (procurement price ) annoncée à l’avance. Ainsi l’État achète une partie du grain. Une partie des réserves sont stockées en prévision des mauvaises années, le reste est écoulé dans des magasins à prix modéré (fair price shops ). À côté demeurent les canaux du marché privé.

Ces mesures ont permis à l’Inde d’affronter sans difficultés majeures la série de mauvaises années de 1985 à 1988. Elle a puisé dans ses stocks (23 millions de tonnes à la fin de 1986, 11 millions en mai 1988), lâché le grain sur le marché, ce qui a prévenu une flambée des prix, distribué des secours aux indigents.

Tous ces changements ont, entre autres conséquences, celle d’accentuer l’importance du facteur prix. Même si un secteur monétaire a existé de tout temps à côté de l’autoconsommation, le premier s’accroît. Une plus grande quantité de grains entre sur le marché, le volume des cultures plus purement commerciales augmente. D’un autre côté, les dépenses de production en argent prennent une importance croissante: engrais, pesticides, outillage, courant électrique, tracteurs et carburant, etc. Le gouvernement doit, par le biais de subventions, ajuster les prix des inputs , jouer sur les prix des différents produits agricoles. Toutes ces tâches sont d’une singulière complexité, comme le savent de longue date les autorités des pays occidentaux. À-coups et difficultés ne manquent pas de surgir.

L’ensemble de ces données reflète un mouvement considérable dans les campagnes, une rupture très nette du rythme languissant de la croissance qui caractérise les décennies précédant l’indépendance. Ces données s’ajoutent à d’autres éléments: électrification des villages, construction de routes, essor de la petite industrie, du commerce. Néanmoins, cet aperçu global masque d’énormes différences de développement, au point que le greniers pleins ne doivent pas faire oublier les nombreux ventres vides.

La diversité du monde rural

Sur l’arrière-plan historique hérité des Britanniques se greffent deux autres variables principales: les hommes et leurs attitudes, le milieu physique.

Bien que la Constitution indienne de 1950 abolisse toute discrimination et distinction de caste, un système aussi profondément enraciné dans la culture de l’Inde ne va pas disparaître d’un jour à l’autre. Des changements apparaissent certes dans les rapports inter-castes, mais plusieurs traits fondamentaux du système demeurent.

De très longue date, au niveau local, on relève l’existence d’une caste dominante sur les plans économique et socio-politique. Celle-ci représente un des groupes les plus nombreux et détient la majorité des terres, ou la part la plus large. Elle occupe très souvent un rang intermédiaire dans la hiérarchie des castes. En revanche, il n’existe pratiquement pas de caste dominante relevant de la catégorie des ex-intouchables, les Harijans (fils du dieu Hari), comme les a appelés le Mahatma Gandhi. Ceux-ci constituent un gros contingent de paysans sans terre. Certains d’entre eux exercent encore leur métier traditionnel (Bhangis: vidangeurs; Dhobis: blanchisseurs), alors que beaucoup d’autres, notamment la plus grande partie des Chamars (qui traditionnellement récupéraient la peau des bovins pour en faire du cuir), sont devenus ouvriers agricoles.

Grosso modo, les castes dominantes se décomposent en deux types. Certaines ont, par tradition, une vocation agricole bien définie; de longue date leurs membres donnent au sol et aux cultures des soins attentifs. Citons les Jats (hindous, musulmans ou sikhs) dans le Nord-Ouest, les Patidars du Gujr t, les Kammas, Reddis, Kapus de l’ ndhra. Il est frappant d’observer, en particulier dans le pays des Jats, que d’autres castes supérieures, Brahmanes, Vaishyas, sont également dures à la tâche et ne reculent pas devant le travail manuel.

Ces conditions sociales ont un impact évident sur l’économie rurale en favorisant le développement, les innovations techniques.

Changement de décor lorsque les castes dominantes n’ont pas, par tradition, une vocation agricole bien définie: Brahmanes, Bhumihars, Thakurs ou Rajputs sur le cours moyen du Gange et dans le bas Gange, Kandayats en Orissa. Alors apparaissent des cultures peu soignées, des attitudes relâchées; le tabou qui interdit aux castes supérieures de toucher la charrue, même dans le cas de très petits propriétaires – on en trouve aussi au sein des castes dominantes – est caractéristique.

Si enracinées soient-elles, ces attitudes peuvent se modifier avec le temps. Ainsi, en 1964, dans le district de Bénarès et, en 1967, dans celui de Muzaffarpur dans le nord du Bih r, le tabou de la charrue restait vivace. À partir de 1975, il est en net recul dans le premier district où les petits propriétaires brahmanes se sont mis à labourer eux-mêmes, au lieu de gaspiller leur peu d’argent à payer des ouvriers agricoles. À Muzaffarpur, en revanche, le tabou ne commence à fléchir que vers 1990.

D’autres éléments requièrent un jugement nuancé. Ainsi, dans l’ ndhra côtier, les Brahmanes ne cultivent pas directement leurs champs, mais supervisent avec soin les travaux, ce qui n’est pas le cas de nombreux grands et moyens propriétaires, Bhumihars, Thakurs, au Bih r.

Quoi qu’il en soit, la présence de castes dominantes non agricoles par tradition peut gêner la hausse de la production. Celle-ci n’est pas statique, mais dans ces régions elle avance à un rythme lent, voire trop lent, par rapport à la population.

La variable du milieu physique est plus facile à appréhender. Les plaines alluviales, soit le bassin du Gange, les rives du Brahmaputra en Assam, les deltas sur la côte est (Coromandel), le mince littoral de la côte du Malabar à l’ouest, jouissent de conditions naturelles favorables, voire très favorables à l’agriculture: sols fertiles, pluies abondantes sauf dans le Nord-Ouest, possibilités d’irrigation par eau souterraine (puits) et de surface (canaux) presque partout, y compris dans les zones de faible pluviosité. Dans la plupart des districts, deux récoltes annuelles sont possibles sur le même sol: blé puis riz, ou blé puis maïs, ou encore deux récoltes de riz.

La péninsule du Deccan présente des conditions beaucoup plus ingrates. Certes, le Nord-Est reçoit des pluies assez fortes. Des plaines sont bien dotées en possibilités d’irrigation, mais de vastes espaces souffrent d’une pluviosité faible en moyenne, et sujettes à des écarts plus sensibles que les régions mieux arrosées. Des zones arides du R jasth n on passe à de vastes régions semi-arides, notamment au Gujr t, au Mah r shtra. Circonstance aggravante, dans toutes ces régions les possibilités d’irrigation (eau de surface et souterraine) varient entre le faible et le médiocre. Il est exclu de prévoir une seconde récolte en saison sèche, et celle de la mousson ne peut bénéficier que d’une irrigation d’appoint quand les pluies ne tombent pas au moment prévu. Finalement interviennent les sols, souvent pauvres, exposés à l’érosion à divers degrés.

Il est juste d’ajouter que les densités de population sont moins fortes que dans les plaines alluviales, mais ce n’est pas nécessairement un avantage. Un paysan du Mah r shtra avec 3 hectares non irrigués vivra plus mal qu’un paysan de l’ ndhra côtier qui dispose d’à peine un hectare irrigué et il aura de la peine à beaucoup améliorer ses rendements.

Vers un processus global de développement rural

Quelques exemples illustreront les différentes facettes du monde rural.

Le district de Bulandshahr (ouest de l’Uttar Pradesh) est typique du Nord-Ouest: ancienneté du développement dès la fin du XIXe siècle, milieu physique favorable grâce aux larges possibilités d’irrigation qui compensent des pluies modérées, aire occupée par d’excellentes castes agricoles, notamment les Jats.

Lors de nos premières enquêtes en 1963-1964, l’agriculture traditionnelle s’approche de son plafond. Le blé donne en moyenne de 1 200 à 1 300 kilogrammes par hectare, le sucre brut 5 000 kilogrammes par hectare.

À partir de 1965, l’irrigation par puits tubés à pompe connaît un véritable boom. Peu après apparaissent les nouveaux blés qui exigent plus d’eau que les variétés traditionnelles, et des doses d’engrais chimiques plus élevées. La conjonction des trois éléments a pour résultat que les rendements moyens se situent dans les années 1980 autour de 2 500-3 000 kilogrammes par hectare, pour monter à 3 500 au début des années 1990. Les progrès sont plus modestes pour la canne à sucre faute de nouvelles variétés, et l’avance est faible pour le maïs et le millet.

Parallèlement, la production et la commercialisation du lait augmentent, de même que celles des légumes aux abords des villes. De nombreuses petites industries se propagent dans les gros bourgs: fabriques rustiques et ateliers produisant des pompes, des petites batteuses, des bicyclettes, des outils. Le commerce y gagne aussi. Les villages se dotent de petites échoppes, les plus grosses agglomérations voient les rues de leurs bazars s’allonger avec des boutiques de tailleurs, de réparateurs de moteurs, de marchands de bicyclettes et des garages pour tracteurs qui ne sont plus des engins insolites.

La construction de maisons en brique, remplaçant l’habitat en torchis, suscite d’autres activités dans les villages.

Cet essor est facilité par l’intensification des réseaux routiers accessibles aux camions et aux autobus, ainsi que par l’électrification d’un nombre croissant de villages, condition quasi indispensable à la mise en place de petites industries, et facteur qui stimule l’investissement dans les puits tubés à pompe électrique plus rentables que ceux qui recourent au diesel.

Hausse de la production agricole de base, multiplication des activités agricoles secondaires et progrès de l’élevage bovin, de la production de volailles et d’œufs, de l’industrie, du commerce, des transports... constituent un processus global de développement rural : croissance et diversification de l’économie.

Ces caractéristiques, qui se retrouvent dans les autres districts de l’ouest de l’Uttar Pradesh, entre le Gange et le Jamna, sont encore plus accusées au Pañjab et dans l’Haryana. Le premier avec 1,54 p. 100 de la superficie totale de l’Inde, 2,47 p. 100 de la population (1991) a fourni, en 1983-1984, 63 p. 100 de tout le blé acheté par le gouvernement dans l’ensemble de l’Inde et 44 p. 100 du riz. Jusque vers 1960, ce dernier occupait une très faible place dans le Nord-Ouest. Or, grâce aux progrès de l’irrigation, les nouvelles semences et les engrais aidant, les paysans se sont mis à cultiver à la mousson le riz au lieu du millet et du maïs de moindre rapport, tendance qui s’est propagée par la suite dans l’ouest de l’Uttar Pradesh.

Les districts du Sud-Est dans les deltas de l’ ndhra et du Tamil N du connaissent un essor qui, sans être aussi éclatant que dans le Nord-Ouest, est significatif. Pour les raisons techniques évoquées plus haut, la progression du riz est plus limitée que celle du blé. Les rendements en termes de paddy (3 kg de paddy = 2 kg de riz décortiqué) passent d’environ 2 000-2 500 kilogrammes par hectare, au début des années 1960, à 4 500-5 500 kilogrammes au début des années 1990. Déjà implantée de longue date, l’irrigation se renforce, mais de manière moins accentuée que dans le Nord-Ouest. De bonnes castes agricoles savent tirer parti des innovations techniques. Les routes, les lignes électriques interviennent, de même que le commerce et la diversification des activités agricoles secondaires. La petite industrie gagne des points, dans des proportions, toutefois, plus modestes qu’au Pañjab.

Deux observations générales s’imposent: d’abord, ce n’est certes pas par hasard qu’on retrouve aujourd’hui en tête de la production agricole les régions qui partaient de plus haut après l’Indépendance. Ensuite, un nouveau mode de production agricole est en train d’émerger, qui remplace le système traditionnel, sans être la copie du modèle occidental grâce à la combinaison fort judicieuse de certaines techniques anciennes avec les innovations techniques tout à fait indispensables à la hausse des rendements et à l’extension des doubles récoltes annuelles: les semences, les engrais, les pompes et, selon les cas, les pesticides.

À côté des innovations, les labours à l’araire gardent une place dominante, malgré les très gros progrès des tracteurs. Les sarclages se font à la main, la moisson à la faucille, le battage ici avec les petites machines locales, là avec les bœufs. L’emploi de camions se fait plus fréquent, sans pour autant éliminer celui des attelages traditionnels aux chars maintenant souvent montés sur pneus.

Les régions «molles»

Déjà en 1964 et 1967, on était frappé par les contrastes entre l’ouest et l’est de l’Uttar Pradesh ou le Bih r sur le cours moyen du Gange. Près de Bénarès, en 1964, les rendements moyens du blé oscillaient autour de 900 kilogrammes par hectare, ceux du sucre brut autour de 3 000 (ouest de l’Uttar Pradesh respectivement 1 200-1 300 et 5 000 kg/ha).

Dans ces régions, le riz était et demeure la principale céréale cultivée à la mousson (kharif ) après le blé en saison sèche (rabi ). La plupart des champs n’étaient pas irrigués, ou mal irrigués, et souvent victimes d’excès d’eau, faute de drainage, même par des pluies normales. Une mousson faible ou mal répartie affectait les récoltes.

Le manque de dynamisme des castes dominantes n’était pas compensé par le travail plus efficace des castes de rang moyen-inférieur (Yadavs, Kurmis) qui occupaient trop peu de terres par rapport aux castes supérieures. Dans ces conditions, la riziculture était médiocre, comme la culture du blé ou de la canne à sucre: rendements de 1 000 à 1 300 kilogrammes par hectare de paddy, et moins dans les champs mal drainés, contre 2 000 ou plus à la même époque dans le Sud-Est.

Qu’en est-il aujourd’hui? Longtemps engourdies, ces belles terres alluviales se réveillent. Dans la région de Bénarès, les puits tubés à pompe privés sont en nette augmentation. Les rendements moyens du blé dépassent 2 000 kilogrammes par hectare en 1992. Sur les terres légèrement surélevées et proches des puits, les paysans moissonnent 3 000 kilogrammes par hectare environ de paddy grâce à de nouvelles variétés et à des engrais.

Ces progrès restent beaucoup plus lents dans le nord du Bih r. L’irrigation est ou insuffisante, ou inadéquate. La superficie des terres basses gorgées d’eau même par une mousson normale n’a guère diminué, de sorte qu’il est exclu d’y introduire les variétés de riz à tige courte et les engrais. Trop souvent, les rendements ne sont que de 1 000 à 1 500 kilogrammes par hectare de paddy ou moins, soit des normes peu différentes de celles des années 1960. Des constatations analogues peuvent être faites en Assam et en Oriss .

Corollaire de cette faible progression, la diversification de l’économie rurale reste limitée. Routes et électricité jouent un rôle modeste. Quant aux petites industries et aux ateliers de réparation, ils sont peu répandus.

Les régions où la nature est ingrate

L’Inde péninsulaire est trop hétérogène en termes de milieu physique pour conduire à des conclusions aussi globales. Certaines régions favorisées par la nature poursuivent sur leur lancée. Beaucoup d’autres jouissent d’une marge restreinte de manœuvre.

Dans les zones de faible pluviosité au Mah r shtra, les rendements du jowar et du bajra (variétés de millet, principale céréale) continuent à être à la merci des pluies, tout en marquant quelques progrès. Lorsque la mousson est généreuse, les rendements peuvent monter à 700 ou 800 kilogrammes par hectare pour le premier, à 500 pour le second, mais ils tombent à la moitié au moins lorsque la mousson se montre avare. Les cultures irriguées se sont un peu étendues (canaux, pompes sur un puits à ciel ouvert), mais l’irrigation est peu sûre. Les canaux lâchent un mince filet d’eau en cas de sécheresse. Quant à la nappe phréatique, elle ne se recharge pas assez, ce qui met les pompes à l’arrêt. Même au cours d’une année normale, nombre de puits ne donnent plus d’eau ou très peu dans les mois qui précèdent la mousson.

Les paysans du Mah r shtra continuent comme par le passé à faire pousser sur leurs petites parcelles irriguées les cultures et plantations qui rapportent le plus à l’hectare: canne à sucre, vigne, plus récemment papayers, légumes, piments, vendus sur le marché, ce qui leur permet d’acheter les céréales qui leur manquent.

Il est évident que les variétés hybrides à haut rendement de jowar et de bajra, le riz, voire le blé, ne jouent, faute d’eau, qu’un rôle très limité.

Dans les zones arides du R jasth n, la dépendance à l’égard des pluies est encore plus nette. Par bonne mousson, le bajra donne plusieurs quintaux à l’hectare, tandis qu’en cas de sécheresse les paysans ne peuvent souvent pas semer, ou récoltent à peine plus que leurs semences.

Les régions qui ne sont pas trop isolées connaissent néanmoins une certaine diversification de l’économie: progrès de l’élevage au R jasth n, marqué de reculs au gré de la mousson, impact des grandes villes et des bourgs au Mah r shtra, qui absorbent une partie de la main-d’œuvre excédentaire.

Dans les collines du sud du Bih r, en revanche, l’économie ne change guère: peu d’innovations techniques, absence de villes, commercialisation infime, mauvaises voies de communication.

L’évolution sociale du monde rural

Contrairement à la seconde partie du slogan «dans la révolution verte, les riches s’enrichissent, les pauvres s’appauvrissent», le sort de ces derniers s’est amélioré lorsque la croissance et la diversification de l’économie rurale ont été suffisamment fortes. Les salaires ont augmenté en termes réels et le marché du travail s’est élargi dans l’agriculture et hors de celle-ci: activités secondaires, petit commerce, industrie, transports, emplois à l’extérieur du village. Lors de mes dernières enquêtes de 1992-1993, les salaires varient, en gros, du simple au double entre les districts avancés et en retard. De plus, les possibilités d’emploi sont aussi plus larges dans les premiers.

Contrairement à une autre affirmation, les petits propriétaires ne sont pas restés à l’écart du mouvement. Combien de paysans cultivant de 0,5 à 1 hectare dans l’ouest de l’Uttar Pradesh, dans l’ ndhra côtier, dans le district de Thanjavur (Tamil N du) ne se débrouillent-ils pas pour mettre de l’engrais chimique sur les nouvelles variétés de grains? Dans le Nord-Ouest, il n’est pas rare de trouver des propriétaires de 1 à 2 hectares qui ont pu installer leur propre puits tubé à pompe. Quant aux plus petits paysans, ils achètent l’eau à un voisin.

Bien sûr, cette évolution n’a rien d’idyllique. Des tensions peuvent se produire. Certains ex-intouchables conservent leur retard. Beaucoup d’entre eux restent vulnérables aux accidents de toute sorte: l’ouragan qui détruit leur paillote, l’unique bœuf qui meurt de maladie... Néanmoins, plusieurs auteurs indiens confirment les observations faites dans les mêmes villages à dix ou quinze ans d’intervalle.

Face à ce grignotage de la misère ou de l’extrême pauvreté, les changements sont plus faibles dans les zones «molles». Certes, on peut rencontrer dans l’est de l’Uttar Pradesh ou au Bih r de très petits propriétaires de quelques ares, des métayers, des manœuvres agricoles vivant un peu mieux aujourd’hui qu’il y a une quinzaine d’années mais, d’une manière générale, les salaires en termes réels tendent à stagner, parfois à baisser, et le marché du travail croît trop faiblement.

Une telle situation n’a rien d’anormal car dans ces régions la production est distancée par l’accroissement de la population ou la suit tout juste.

Circonstance aggravante, dans certaines parties de l’Inde (est de l’Uttar Pradesh, Bih r), la pauvreté n’est pas seulement de nature économique. Elle est accentuée par des structures semi-féodales et les abus qui en découlent. Les tensions sociales sont en train de se durcir selon un schéma complexe: conflits entre landlords et Harijans, entre ceux-ci et les castes-classes moyennes d’agriculteurs, entre ces dernières et les castes supérieures. À plusieurs reprises, ces dernières années, de sanglants incidents ont eu lieu.

Qu’en est-il de l’Inde péninsulaire? Dans les districts du Mah r shtra exposés à la sécheresse, les salaires des manœuvres agricoles n’augmentent guère en termes réels: cela est la conséquence de la faible croissance des céréales et de l’expansion inévitablement restreinte des parcelles irriguées. D’un autre côté, le nombre des paysans sans terre est relativement faible, et il existe des possibilités de travail dans les gros bourgs et les grandes villes comme Bombay et Poone, sans parler de l’armée (comme dans le Nord-Ouest, pépinière de soldats) ou de la police. Les familles restent au village et bénéficient des économies faites par ceux qui sont au-dehors.

Autre exemple évoqué par Jean-Luc Chambard (L’Atlas d’un village indien ), dans le Madhya Pradesh, district de Shivpuri: si les céréales progressent de manière modérée, nombre d’hommes trouvent du travail dans l’administration du district ou comme instituteurs. Les Chamars, ex-intouchables, ont plus à faire dans l’agriculture et dans la construction des nouvelles maisons des hautes castes.

Au R jasth n, c’est en combinant plusieurs emplois – quelques chèvres, une vache, de l’artisanat ou du travail sur les chantiers des grands canaux d’irrigation – que les plus pauvres, ou tout au moins une partie d’entre eux, arrivent à gagner leur vie.

D’autres régions connaissent des conditions beaucoup plus dures: l’économie languissante dans les collines du sud du Bih r a de dures répercussions sur les paysans sans terre. Il existe même des cas de servage (bonded labour ) de malheureux endettés et asservis aux propriétaires.

Dans les jungles de l’Orissa, une partie au moins des tribus aborigènes décline. Comme au Bih r, la population s’accroît, l’économie suit mal, l’engrenage de la pauvreté se resserre.

L’arrière-pays de l’ ndhra (Telengana) est depuis longtemps le théâtre de tensions sociales (insurrection communiste en 1948 déjà) qui ont rebondi depuis la fin des années 1970: pression démographique, possibilités assez limitées de l’agriculture, notables prêts à abuser de leur position dominante.

Cette multitude d’exemples met en échec toute généralisation. Il est quelque peu chimérique de vouloir mesurer la pauvreté sur la base de calculs dépourvus de valeur scientifique et d’affirmer que 30 p. 100 des ruraux vivent au-dessous du seuil de pauvreté.

En revanche, plusieurs faits sont relativement clairs. Les pires tensions et violences se sont déroulées surtout, sinon presque exclusivement, dans les régions de faible croissance économique.

Ensuite, les structures sociales bougent un peu partout, et l’on sent chez les plus pauvres une prise de conscience de leurs droits qui se traduit par de légitimes revendications. De nombreuses castes de petits et moyens propriétaires renforcent leur influence. Quant aux notables, leur poids et leur profil varient des gentlemen-farmers du Pañjab aux landlords semi-féodaux du Bih r qui s’accrochent à leurs pouvoirs, sans pour autant développer leurs domaines de manière assez vigoureuse.

Enfin, une forte croissance accompagnée d’une diversification plus large de l’économie provoque des effets sociaux non négligeables, un indéniable recul de la pauvreté. Les meilleures chances d’une plus grande justice sociale apparaissent dans cette direction.

L’avenir de l’économie rurale

Le bilan économique et social, plus de quarante-cinq ans après l’indépendance, se décompose comme suit: l’Inde est, pour la première fois de son histoire, délivrée de tout risque de famine (la dernière, celle de 1943 au Bengale, avait fauché entre 1,5 et 3 millions d’âmes sur une population provinciale de 60 millions). En même temps, le pays s’est peu à peu libéré des importations de céréales, pour la première fois depuis 1920.

La hausse de la production fournit des réserves, tandis que les mesures de secours en cas de calamités naturelles aiguës se sont considérablement amplifiées.

Ces progrès ont un aspect social évident car, en cas de famine, ce ne sont pas les riches qui meurent de faim! Autre avantage social: dans les districts avancés, les paysans sans terre et les petits propriétaires ne sont pas laissés pour compte par la révolution verte. Même si la hausse des niveaux de vie n’est pas spectaculaire, elle n’est pas négligeable pour autant.

Face à ces postes positifs du bilan, pourquoi la coexistence de greniers pleins et de ventres vides? Dans les zones «molles», l’accroissement des récoltes est trop faible par rapport à la pression démographique pour exercer des effets sensibles sur le revenu et le pouvoir d’achat des pauvres. Ainsi les régions riches dégagent un surplus, même si les pauvres y mangent plus. En même temps, le pire est évité dans les régions déficitaires. Comment, sur ces bases, se dessine l’avenir de l’économie rurale? Grosso modo, on peut diviser l’espace indien en trois grandes catégories:

– les districts avancés, principalement dans le Nord-Ouest et les deltas du Sud-Est;

– les districts très pauvres mais potentiellement riches, soit la plaine sur le cours moyen et inférieur du Gange (Bih r, Bengale) ainsi que les plaines de l’Assam et de l’Orissa ;

– de nombreux districts de l’Inde péninsulaire dotés d’un milieu physique ingrat.

Jusqu’à maintenant, le gros des réserves de l’État est venu des régions avancées. Or il tombe sous le sens qu’une telle situation ne sera pas éternelle. Déjà aujourd’hui on perçoit des signes d’essoufflement. En effet, passer d’un seuil de rendement de 3 000-3 500 kg/ha de blé ou de riz décortiqué à un supplément de 1 000 à 1 500 kg/ha ne sera pas facile. Pour ce faire, il faudra que tout l’appareil de soutien à l’agriculture fonctionne pratiquement sans faille. En substance, des rendements de blé et de riz qui s’approchent de ceux de l’Europe occidentale et du Japon exigent une économie agricole qui fonctionne comme dans ces pays. Or l’Inde en est assez loin. Souvent les semences ne sont pas renouvelées à temps, les applications d’engrais chimiques, la lutte contre les parasites laissent à désirer. Les puits tubés à pompe électrique manquent fréquemment de courant. Les réseaux de canaux exigent de très gros travaux de réfection afin que l’irrigation s’améliore pour assurer de plus hauts rendements.

Qu’en est-il des plaines de l’Inde orientale, vaste et lourd réservoir d’extrême pauvreté? Fait positif, les districts orientaux de l’Uttar Pradesh sont en train de se réveiller, et le district de Bénarès (Varanasi) est un bon exemple de l’évolution en cours. En revanche, plus à l’est, la production continue à progresser trop lentement. Plusieurs indicateurs (consommation d’engrais chimiques, pourcentage des terres irriguées, mais aussi routes et électrification des villages) confirment le retard du Bih r, du Bengale occidental, de l’Orissa, de l’Assam.

Le riz non irrigué souvent ne passe même pas la barre des 1 000 kg/ha. Il peut tomber à 500 kg/ha. Et pourtant il serait possible, dans une première étape, d’arriver, sur ces belles terres alluviales, à 2 000 kg/ha de riz, suivis par une deuxième récolte du même ordre ou le même volume de blé, rendements que l’on observe ici et là lorsque les terres sont irriguées.

Pour atteindre ces objectifs sur de grandes surfaces, l’irrigation constitue un premier impératif. Or l’eau abonde dans le sous-sol et les rivières; canaux, puits tubés peuvent donc se multiplier sans difficultés excessives. La hausse de la consommation des engrais chimiques, des nouvelles semences, des pesticides ferait le reste (tabl. 5 et 6).

Il faut cependant souligner de graves obstacles, inconnus ou beaucoup moins prononcés dans les zones avancées. Même par mousson normale, de vastes étendues souffrent d’excès d’eau faute de drainage, ce qui empêche toute riziculture intensive. Les nouvelles variétés courtes sur tige seraient noyées, les engrais chimiques se perdraient dans l’eau. Ensuite, l’irrigation joue le rôle d’appoint en cas de défaillance de la mousson et se révèle indispensable pour une bonne seconde récolte en saison sèche. Il faut aussi compter avec les inondations lorsque les pluies sont trop abondantes. Dans ce domaine, comme à propos du drainage, de très coûteux travaux s’imposent dont la progression reste lente.

D’autres facteurs gênent – sans l’empêcher – une révolution verte: structures sociales, facteurs politiques et faiblesses administratives, en particulier au Bih r.

Quelles que soient les difficultés, il est clair que l’avenir va se jouer dans les plaines orientales, ce dont les planificateurs indiens sont pleinement conscients. Comme le point de départ y est très bas, même une irrigation imparfaite et des applications modestes d’engrais chimiques pourraient assurer un relèvement sensible des rendements. Non seulement l’Inde dans son ensemble deviendrait moins dépendante du Pañjab et des autres régions prospères, mais il en résulterait localement un progrès économique et social très substantiel: des millions de propriétaires au-dessous d’un hectare connaîtraient un sort moins précaire. Les paysans sans terre seraient plus occupés et leurs salaires augmenteraient en termes réels.

En substance, l’avenir des plaines orientales n’est pas bouché et les efforts accrus des autorités surviennent au bon moment. Néanmoins, on ne saurait négliger la complexité des tâches socio-économiques et techniques aggravée par une mise en marche tardive du processus de développement, en comparaison des régions qui ont commencé à bouger plus tôt.

Reste la troisième catégorie, les terres de l’Inde péninsulaire, arides, semi-arides, assez pluvieuses d’ouest en est. Depuis quelques années, le gouvernement entreprend plus d’efforts, sans se cacher qu’une révolution verte est exclue dans beaucoup de districts faute d’eau en suffisance (pluie et/ou irrigation). La lutte se révèle délicate. Les sols pauvres, usés par l’érosion, exigent des travaux de rénovation qui peuvent être coûteux. De plus, la situation ne cesse de s’aggraver car l’écosystème est victime de la pression des hommes, voire de celle du bétail: déboisements, surpâturages dans des plateaux au maigre fourrage... Divers remèdes sont tentés: reboisements aujourd’hui nettement plus marqués qu’il y a dix ans, labours selon les courbes de niveau, travaux de terrassement, diguettes anti-érosives, récupération des eaux des oueds. Il s’agit à la fois d’enrayer la progression de l’érosion et de limiter le ruissellement des pluies. Celles-ci sont rares dans l’Ouest et le Centre, mais elles sont si brutales qu’elles fouettent le sol, s’écoulent au lieu de pénétrer dans le sol et d’alimenter la nappe phréatique.

D’autres travaux concernent de nouvelles variétés de millet, de légumineuses, d’arachide... cultures en général non irriguées.

La lutte n’est certes pas sans espoir, mais les coûts sont élevés, les remèdes complexes et les avantages escomptés assez limités. Il est hors de question d’atteindre des hausses de rendement et des relations coût-bénéfice comparables à celles des terres où joue la révolution verte avec l’avance des rendements par récolte et l’accroissement des deuxièmes récoltes en saison sèche grâce à l’irrigation.

Dans ces régions, encore plus que dans les autres, une très vigoureuse diversification de l’économie rurale s’impose. Elle progresse au Gujr t et au Mah r shtra grâce à des réseaux routiers assez denses et à l’existence de grandes villes. Le mouvement est à peine amorcé dans les districts isolés du sud du Bih r et de l’intérieur de l’Orissa.

Si les contraintes évoquées à propos des trois catégories de régions sont peu à peu surmontées, on peut escompter un recul plus rapide de la misère ou de l’extrême pauvreté. Par ailleurs, les Indiens les plus clairvoyants se rendent compte que les prochaines étapes du développement rural risquent de s’avérer plus difficiles que celles qui ont déjà été franchies: poursuivre la hausse des céréales, des cultures comme le coton et la canne à sucre, faire progresser l’élevage, le maraîchage, les vergers, le commerce local et la petite industrie, les routes, l’électricité; en d’autres termes, élargir sans relâche le marché du travail. Une telle stratégie offre sans doute plus d’espoir pour les petits paysans que les programmes de lutte directe contre la pauvreté.

6. Industrie et infrastructure

La base de départ de 1947 s’est accrue en volume, s’est diversifiée et étendue dans l’espace. Aujourd’hui, l’Inde couvre une grande partie de ses besoins en biens d’équipement, en matériel de transport, en engrais chimiques, produits pharmaceutiques, produits synthétiques. Le marché des biens de consommation semi-durables est dominé de manière écrasante par les produits made in India : des bicyclettes aux camions, des locomotives aux marmites à pression et aux produits de beauté. Les industries alimentaires se développent, sans parler des textiles, du cuir.

L’industrie (tabl. 7) va des grandes unités du secteur public et des énormes sociétés privées (Tata, Birla) à de multiples moyennes et petites entreprises, pour finir au niveau de l’atelier où le bricolage semi-artisanal se combine à l’usage d’une ou deux machines-outils. De nouvelles castes et classes d’entrepreneurs entrent en lice, élargissant le cercle industriel où prédominaient de manière écrasante au moment de l’indépendance les Marwaris (Birla), les Parsis (Tata), quelques grandes familles Jaïns. Certains nouveaux industriels sont partis de rien au moment de l’indépendance. D’autres sont passés du stade de marchand à celui de directeur d’usine.

Aux centres industriels anciens, Bombay, Ahmedabad, Calcutta, Jamshedpur, Madras, s’ajoutent des cités industrielles entièrement nouvelles, construites autour des grandes usines du secteur public, par exemple les aciéries de Rourkela en Orissa, de Bhilaï au Madhya Pradesh. Des villes anciennes voient gonfler leurs quartiers industriels: Poone au Mah r shtra, Bangalore au Karn taka, Hyderabad en ndhra, New Delhi. Enfin, des villes plus petites comme celles du Pañjab, ou Coimbatore et Madurai au Tamil N du, et bien d’autres abritent des usines de diverses tailles.

Dans le domaine de la petite industrie, deux principaux schémas se dégagent: les entreprises fabriquant des produits finis (outillage agricole, moteurs, bicyclettes), souvent implantées dans les gros bourgs ruraux, et les unités qui font de la sous-traitance pour les grandes usines dans les métropoles industrielles.

Le secteur énergétique connaît une expansion spectaculaire. En 1947, les villages et de nombreuses petites villes s’éclairaient à la bougie ou à la lampe à pétrole. Aujourd’hui, les réseaux électriques couvrent l’ensemble des villes et un grand nombre de villages, facilitant l’industrialisation.

Charbon du nord-est du Deccan, pétrole et gaz, hydroélectricité surtout au pied de l’Himalaya, centrales nucléaires représentent les principales sources d’énergie.

En revanche, l’intendance a de la peine à suivre les investissements. L’entretien et le fonctionnement des centrales et des réseaux souffrent de nombreuses failles, d’où une sous-utilisation de la capacité installée. De plus, malgré les nouveaux investissements, l’offre reste de loin inférieure à la demande. Amplement reconnus et dénoncés depuis près de vingt ans, ces défauts prennent un sens particulier à l’heure des réformes qui devraient déboucher sur l’accélération de la croissance. Or le déséquilibre déjà existant entre l’offre et la demande risque de se creuser davantage plutôt que de se réduire, au moins dans une perspective à moyen terme. Même si le secteur privé – local et étranger – crée les nouvelles centrales dont le projet est en discussion, de manière à épauler le secteur public, il faut au moins cinq ans pour mettre sur pied une centrale thermique.

Le charbon est certes abondant, mais il se concentre dans l’angle nord-est de la péninsule, ce qui met sous pression les chemins de fer. Le potentiel hydroélectrique est loin d’être entièrement exploité, mais on sait le temps nécessaire à la construction de grands barrages et de centrales. Le nucléaire (quelques centrales) ne semble pas devoir beaucoup progresser. L’Inde développe ses ressources en gaz naturel, mais la marge de manœuvre n’est pas si large. Quant au pétrole, après une forte croissance dans les années 1980, surtout grâce aux gisements offshore exploités au nord de Bombay, sa production tend à plafonner, tandis que les besoins augmentent, comme les importations. La relance de l’exploration, avec des conditions plus favorables faites aux compagnies étrangères, comblera-t-elle les espoirs le long de la côte est? Ici non plus, même dans l’hypothèse optimale, le temps ne s’escamote pas.

En dépit d’énormes progrès, le second goulet d’étranglement reste les transports par le rail et par la route (tabl. 8). Retards, manque de wagons ou de camions se font sentir dans des proportions qui tendent à s’atténuer quelque peu. Et, pourtant, l’Inde a considérablement amélioré son réseau routier, qui était déjà assez développé en 1947. Un nombre croissant de villages est maintenant accessible par des routes en dur. Les camions et autobus se font plus nombreux. Quant au réseau ferroviaire, il a peu augmenté, quoique le fret se soit accru dans de très fortes proportions. Dans ce domaine aussi, la situation est en train de s’aggraver. Les routes ne suivent pas la très forte hausse du trafic depuis 1980. Les services publics n’arrivent déjà pas à assurer l’entretien. Les programmes d’autoroutes, nécessaires sur plusieurs grands axes, ne sont qu’ébauchés, avec très peu de réalisations en 1993. Il reste à voir dans quelle mesure le secteur privé – local et étranger – va se lancer dans des projets d’autoroutes à péage.

Pour ce qui est des industries proprement dites, nombre d’équipements auraient besoin d’être remplacés. C’est le cas pour bien des usines textiles, pour de nombreuses raffineries de sucre, pour une partie des centrales électriques.

Le niveau du management varie. Le secteur privé a ses sick mills (usines malades) et le secteur public ses entreprises qui accumulent les déficits. Cependant, dans les deux secteurs, il existe des entreprises dynamiques, bien gérées, efficaces. Des progrès sensibles apparaissent, qui expliquent en partie la reprise dans l’industrie.

Dans les premières phases du développement, la politique suivie visait à créer des industries de substitution, c’est-à-dire destinées à fabriquer sur place les produits importés jusqu’alors: machines, produits chimiques et pharmaceutiques, matériel de transport. Peu à peu, les industries d’exportation se renforcent.

On conçoit à quel point, dans ce contexte, les réformes économiques correspondent à un impératif majeur.

Même si le renouvellement des équipements est encore loin d’être achevé et si bien des pesanteurs bureaucratiques demeurent, sans parler des faiblesses du secteur public, un esprit nouveau apparaît.

Derrière les chiffres apparaissent des mutations peut-être encore plus significatives au sein de la société. Des classes jeunes montent en ligne: ingénieurs, chefs d’entreprise, administrateurs, professeurs..., des hommes qui disent non au dogmatisme et aux chimères, des hommes conscients du besoin d’améliorer les performances de l’industrie, d’accroître la rentabilité des entreprises. En même temps est apparu un marché d’environ 150 millions de personnes: classes moyennes urbaines, paysans aisés qui, au-delà du transistor et de la bicyclette, achètent d’autres biens semi-durables dont la production va bon train (scooters, électroménager). Même le fast food commence à bousculer les habitudes alimentaires dans les villes.

7. Les relations économiques extérieures

Jusque vers 1970, l’Inde ne se tourne que modérément vers le monde extérieur. Elle joue la carte des industries de substitution aux importations. Les exportations ne sont pas assez encouragées. Cette ligne politique se modifie d’abord lentement pour prendre une tournure nettement différente à partir de 1980 (tabl. 9). Par la suite, les planificateurs se lancent dans une opération délicate: accroître dans un premier temps les importations de biens d’équipement et de pièces détachées destinées à la modernisation des entreprises afin, dans un second temps, d’accroître les exportations de produits manufacturés. Une telle politique est d’autant plus nécessaire que trop de produits indiens ont peine à s’exporter car leurs prix sont trop élevés et la qualité médiocre.

Parallèlement à cette évolution, la gamme des partenaires de l’Inde est en mutation. La part du Royaume-Uni, principal fournisseur et client au lendemain de l’indépendance, a beaucoup baissé (d’environ 20 p. 100 à 5 ou 6 p. 100 des importations et des exportations). Les États-Unis constituent le premier partenaire de l’Inde, absorbant 16,5 p. 100 de ses exportations et assurant 10 p. 100 de ses importations en 1991-1992. L’Allemagne et le Japon sont également des partenaires importants. La fin de l’Union soviétique et les désordres qui prévalent dans cette partie du monde affectent l’Inde. Ses importations en provenance de l’U.R.S.S. avaient déjà beaucoup baissé depuis une dizaine d’années; en revanche, ce sont maintenant les exportations indiennes qui chutent, de 16 p. 100 du total en 1990-1991 à 3,6 p. 100 pour les six premiers mois de 1992-1993. On notera la part modeste de la France.

Dès le début des plans, les échanges entre les États-Unis et l’Inde occupent une large place. Les Soviétiques livrent des quantités notables d’équipements dans les années 1950-1960, puis leurs ventes se tassent. L’Allemagne joue dès le début un rôle important, mais c’est le Japon qui représente la principale nouvelle donne depuis une dizaine d’années. Et sa progression tant pour la vente que pour l’achat est loin de se ralentir. Ce sont par exemple des firmes japonaises qui sont en train, en collaboration avec des entreprises indiennes, de renouveler le parc étonnamment vétuste des automobiles (modèles F.I.A.T. et Morris de 1955, fabriqués en Inde!). Qui plus est, la Corée du Sud commence elle aussi à se manifester sur le marché indien.

Les jeux ne sont pas encore faits, mais l’on perçoit un début d’intégration de l’Inde au monde du Pacifique, de l’Extrême-Orient à la côte ouest des États-Unis.

Il importe aussi de retenir les liens qui se sont resserrés entre l’Inde et le Moyen-Orient à la suite du boom pétrolier: travailleurs indiens, entreprises indiennes de construction ouvrant des chantiers dans le Golfe, livraisons de machines, de fruits, de légumes. Entre l’Iran et l’Inde, les échanges étaient en train de s’intensifier quand est survenue la chute du shah et, peu après, la guerre Iran-Irak.

La fin du boom pétrolier fait baisser le volume d’activités de tout genre entre l’Inde et le Moyen-Orient, mais celui-ci (Iran inclus) reste un partenaire non négligeable.

Des échanges commerciaux et des investissements réciproques existent aussi avec l’Asie du Sud-Est.

Ainsi, par sa position géographique, l’Inde a pu miser sur plusieurs tableaux: à l’intérieur de l’Asie, vers l’ouest comme vers l’est, au-delà vers les États-Unis et l’Europe, ex-U.R.S.S. comprise.

Ce faisant, l’Inde pourrait peu à peu récupérer une partie de la place qu’elle a perdue sur le marché mondial depuis son indépendance. À l’époque, la part de l’Inde dans le commerce mondial était de 2 p. 100, contre 0,5 p. 100 depuis 1980. Non seulement elle a perdu des points par rapport aux pays avancés, mais elle s’est fait très largement dépasser par un nombre croissant de pays d’Asie. En 1960, les exportations-importations de l’Inde venaient seulement derrière le Japon, pour s’en tenir à l’Asie. Aujourd’hui, la Corée du Sud, Taiwan, la Chine et, plus récemment, la Malaisie et la Thaïlande ont dépassé l’Inde et ne cessent de creuser l’écart.

L’image d’un pays sous-développé importateur de biens manufacturés et exportateur de matières premières est dépassée depuis longtemps. Dans les années 1980-1990, cette tendance se renforce, avec une part de produits manufacturés et semi-manufacturés de plus en plus importante. Depuis 1990, les principaux postes à l’exportation sont les produits agricoles (de 16 à 19 p. 100), l’habillement (de 12 à 13 p. 100), les minerais, surtout le fer (de 3 à 4,5 p. 100), les machines et les équipements (de 12 à 13,6 p. 100), les produits chimiques (de 7 à 8 p. 100), le cuir et les chaussures (de 7 à 8 p. 100). Les pierres précieuses (8,7 p. 100 des importations) viennent de l’extérieur, sont taillées en Inde et exportées; elles représentent un des plus gros postes (16 p. 100).

Concernant les importations, le pétrole pèse sérieusement, avec de 27 à 28 p. 100 du total. Les biens d’équipement représentent de 20 à 24 p. 100, les produits chimiques et les engrais de 10 à 11 p. 100, le fer et l’acier 4 p. 100.

Ramenée à la taille du pays, l’aide étrangère est modeste, malgré des chiffres absolus importants. Une forte part des crédits sont accordés à des conditions de faveur (concessional loans ), une autre sous forme de dons; viennent ensuite des crédits de caractère commercial. Particulièrement bien accueillies par la Banque mondiale et le consortium d’aide à l’Inde constitué par les pays occidentaux et le Japon sous les auspices de la première, les réformes ont suscité un regain d’intérêt et de soutien pour l’Inde. Les flux bruts totaux d’aide passent de 3,7 milliards de dollars en 1990-1991 à 4,7 milliards pour 1991-1992, dont 1,1 milliard non lié à des projets. Pour 1992-1993, on arrive à 7 milliards. Une forte partie de ces sommes (57 p. 100 en 1991-1992) est absorbée par le service de la dette.

Dans les années 1980, les grands argentiers se sont départis de leur prudence habituelle en empruntant de manière trop large sur le marché mondial des capitaux auprès des banques commerciales. La tendance fut rudement freinée, voire stoppée, lors de la crise des devises de 1991.

Même si la situation financière internationale de l’Inde s’est améliorée, la dette totale reste un grave sujet de préoccupation: 71 milliards de dollars au 31 mars 1992.

Après un assez net accroissement lors des premiers plans quinquennaux, les flux d’investissements étrangers se sont réduits à un mince filet jusqu’en 1980, date à partir de laquelle les réformes commencent à se faire sentir. D’un total estimé à 2,5 milliards de dollars à cette date, les apports supplémentaires passent de 10 millions de dollars par an (de 1980 à 1982) à 120 millions en 1986, pour atteindre 350 millions en 1992, grâce aux réformes, et environ 1 milliard de dollars pour 1993-1994. Cette tendance encourageante appelle néanmoins deux remarques: le volume reste encore bien faible par rapport aux investissements privés en Chine ou en Asie du Sud-Est; l’Inde aurait intérêt à s’ouvrir davantage de manière à limiter son endettement.

Si l’Inde s’ouvre plus aux capitaux étrangers, elle regarde en même temps davantage hors de ses frontières. Des mini-multinationales apparaissent: usines montées en Afrique et en Asie du Sud-Est, entreprises de construction au Moyen-Orient, chaînes d’hôtels qui partent de l’Inde vers l’Europe et les États-Unis, programmes d’informatique (software ) exportés en Europe et aux États-Unis. En même temps, des industriels indiens résidant en Europe et aux États-Unis, où ils ont créé de grosses entreprises, tissent un réseau entre leur pays d’origine et leur pays d’adoption.

Ces courants ont beau rester modestes, ils donnent une preuve supplémentaire du dynamisme de l’économie.

8. Des mutations présentes et des mutations en gestation

Par sa taille et sa diversité, l’Inde reste rétive aujourd’hui – comme elle l’était hier – à toute explication ou définition simple. Essayons néanmoins de dégager quelques fils conducteurs.

Premier élément: le climat politique, les signes de division, le niveau de la classe politique – que l’on songe au parti du Congrès ou aux autres partis –, la corruption... Faut-il craindre qu’un jour les Indiens «ne s’en tirent plus» comme ils l’ont fait jusqu’à maintenant?

Autre souci majeur: la démographie, avec ses effets corrosifs sur l’économie, la vie sociale et la vie politique. Bien des conflits sont rendus plus aigus, voire exacerbés, par la croissance de la population, les pressions, les rivalités pour bénéficier d’avantages économiques et sociaux trop limités par rapport à toutes les demandes. La corruption trouve là un champ d’action supplémentaire (bakchich pour obtenir un poste d’instituteur, de policier, de petit fonctionnaire, etc.).

Il est vrai aussi que d’autres pans d’ombre susbistent: des injustices sociales criantes, une proportion encore élevée de la population – on avance 30 p. 100 – au-dessous du minimum vital.

N’oublions pas, cependant, les aspects positifs. La croissance est substantielle, même si le rang de l’Inde a baissé parmi les nations. Dixième puissance industrielle en 1947, elle se situe aujourd’hui autour de la vingtième place.

Lorsqu’on interroge les Indiens les plus compétents et nombre de représentants des multinationales, on éprouve le sentiment que, si la situation politique ne s’aggrave pas, l’économie a de bonnes chances de retrouver une croissance annuelle de 5 p. 100 dans un premier temps, et peut-être plus à long terme, ce qui permettrait d’accélérer le recul de la pauvreté grâce à la création d’emplois. Un esprit nouveau, une plus grande confiance en soi se font sentir. Les réformes paraissent irréversibles – même si l’on ne peut exclure des accidents de parcours – et pratiquement tous les partis le reconnaissent, au moins implicitement.

L’Inde possède l’avantage d’institutions politiques relativement solides, notamment par rapport à la Chine. Elle dispose d’élites modernes dont l’importance n’est plus à souligner. Enfin, elle constitue un marché qui ne cesse de s’élargir, ce qui représente un stimulant pour la croissance interne de l’économie et devrait attirer progressivement plus d’investissements étrangers.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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